Le jour où mon bébé est devenu un petit garçon

On y est. Arrêtez-tout. Rangez les bodys, les gigoteuses, le mustela.
Il s'est passé un truc de dingue.

Là, comme ça, d'un coup, sans crier gare.
Mon bébé est devenu un petit garçon.


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Ça avait gentiment commencé cet été, quand il avait découvert en grandes pompes le "non".

Il y a eu les chaussons Spiderman, qu'il a choisi lui-même chez Gemo alors qu'il n'avait jamais vu le film ni lu le Comics, mais qui semblait déjà dans ses yeux être une trouvaille digne des plus grands trésors. Il les as sélectionné avec la même détermination qu'une femme chez Zara un jour de soldes.

Il y a eu les bains, qui ont disparu au profit de douches, mais attention, pas n'importe quelles douches, des douches récréatives, avec 20 récipients, des faux poissons, des têtes de Sophie la Girafe, beaucoup de gel douche pour faire mousser tout ça, et des potions de mousse à transvaser à l'infini. La première douche écologie zéro pointé.

Après il y a eu la turbulette trop petite. Les pieds taille 23 qui étaient au bout, le dilemme cornélien "on en rachète une ? taille, euh, 36 mois ?" et la vérité qu'il fallait voir en face : on va lui acheter une couette. J'ai pris mon temps, flâné sur les sites parce que je ne vais jamais dans les magasins (et que je n'ai pas le permis aussi), atterri sur La Redoute, flashé sur une parure scandinave dans les tons mint avec un imprimé graphique qui nous catapultait déjà lentement mais sûrement hors des langes et des céréales blédina. Je lui ai fait son lit avec amour et fierté, et pendant deux semaines à chaque fois que j'ai rabattu la couverture sur lui en le couchant, il l'a dégagée avec ses pieds et dormi par-dessus. Bien évidemment, pendant deux semaines je me suis demandé chaque soir avant de dormir s'il n'aurait pas un peu trop froid comme ça. Et puis un jour, c'est devenu un nouveau jeu entre nous. Je l'embrasse, je fais l'inventaire des peluches qui l'accompagneront cette nuit, il met ses bras par-dessus la couverture, je le borde et le "moule", comme pour le réchauffer, j'ai besoin de sentir son petit corps bien au chaud (c'est quoi cette obsession animale du froid et du chaud chez les parents?), de m'assurer que la couette l'enveloppe correctement. Ça le fait sourire à chaque fois, alors je recommence. Et puis il la garde contre lui. Au moins je suis rassurée, merci chéri.

Il y a eu le biberon. Celui du déj et du goûter ont été dégagés vite fait bien fait alors qu'il avait 5 mois. Il nous restait le matin et le soir. Le dîner est devenu de plus en plus compliqué, encore à partir de cet été. Et nous voilà maintenant, à 22 mois et demi, officiellement sans AUCUN biberon. Le soir ? "Non, non". Le matin ? "Non, non". (Il faut le savoir, Aaron ne dit pas non, je suis une menteuse, il ne dit que non, non, ça marche par paire ces choses-là, et il a même un petit ton détaché limite dédaigneux quand il le dit).
On s'est retrouvés brutalement face à un boycott surprise de tous les biberons, étayant au passage ma théorie selon laquelle il a exactement les mêmes goûts culinaires que moi. Il aime les pâtes autant que son coco, la sauce tomate, les légumes verts, l'emmental, le parmesan, le café, la viande, le citron et les groseilles. Il n'aime pas le lait, la crème, le beurre, et les compotes. On s'est retrouvés à se demander qu'est ce qu'on allait bien pouvoir lui donner à manger au petit déj. Comme j'ai lu des trucs monstrueux sur le lait de vache dans mes actualités Facebook par la #vegansquad, je me suis dit que c'était pas si grave pour le bib et qu'on lui donnerait du jus, pardon, du "uj". Et puisqu'il n'est plus emballé par les gâteaux, qu'on miserait sur le salé. J'ai passé ma vie à sauter le petit déj car je n'aime pas les gâteaux et qu'en France on mange du sucré le matin, jusqu'à ce que je découvre mon libre-arbitre et que je fasse un travail sur moi-même pour assumer l'ignoble vérité devant le reste du monde: je m'appelle Delphine, j'ai 28 ans et je mange du pain et du fromage le matin avec mon café. C'est dit. Je mets même du poivre dessus. Aaron est fan, d'ailleurs il réclame le "pofre" lui aussi.

Et puis il y a eu la suite... les discussions. Il fait des mini-phrases. En gros il juxtapose des mots, et comme je suis sa mère, je traduis. Je lui demande comment s'est passé sa journée, il fait le bruit d'un bisou, je lui demande s'il a fait des bisous à Ava (son amoureuse de la crèche) il me dit oui, je m'offusque, il rigole.
On discute.
On marche en se tenant la main.
Je lui demande dans le bus s'il a faim, il acquiesce, ah bon, et tu veux quoi ? "Pâtes".
Voilà, il a faim, il veut des pâtes, il sait me dire tout ça. Il entend un mec qui sort son portable dans le fond du bus, il répète "Allô" après lui, je le reprend mais au fond je ris, le même mec demande au téléphone s'ils sont arrivés à la gare, Aaron répond "Nan!".
Je ris, je ris, je ris.
Il me tue.

C'est mon fils, mon bébé, et autant se le dire, il sera mon bébé toute sa vie, quand il passera son bac il sera mon bébé, je l'accompagnerai chercher les résultats et je lui crierai sûrement "Mon poussin!" s'il l'a eu, même s'il a 18 ans et qu'il fait 1m80.
Ce sera mon bébé mais je dois me rendre à l'évidence, le petit garçon est bien là.
Aaron a grandit.
Il y aura bientôt deux bougies sur son gâteau, et j'ai beau dormir parfois avec nostalgie dans le tee-shirt de mon accouchement comme si c'était hier... on en est bien loin. Hier est déjà très loin quand on a une amoureuse à la crèche et qu'on aime le poivre.
Ce n'est plus le bébé qui pleurait pour nos bras, avec son reflux, sa tétine de polysilane, son putain de gaviscon qu'on donnait en 5 fois et seulement quand on était deux sinon ça marchait pas, ses micro-siestes qui me tuaient, ses gencives qui perçaient, le pansoral, le camilia, les nai-nai-nai et les tatatata, les premiers grasses mat' jusqu'à 8 heures du matin quand on accourrait dans sa chambre comme des dératés, qu'on le découvrait paisiblement endormi alors que le dernier bib avait été donné à minuit, et qu'on se faisait un high-five silencieux pour célébrer le début des nuits complètes.

C'est dur de réaliser qu'on a dit adieu à tout ça, que plus jamais ce nourrisson n'existera. Il nous reste nos souvenirs, nos 3000 photos, et nos mots. Pour ne rien oublier.
Il nous reste son regard, qui n'a pas du tout changé.
Et il nous reste la prochaine étape. L'avenir. L'inconnu. Son enfance.
Les châteaux de sable, les murs dessinés au crayon, les chasses au trésor dans les bois.
Des pâtes le dimanche soir. Un jour peut-être, une parure de lit Spiderman.

Et pour toujours, dans mes yeux de maman... à chaque nouvelle bougie, un peu plus d'étoiles.



© Ourson Chéri 


Commentaires

Karine Décembrette a dit…
Superbe comme d'habitude ... ! Nos petits garçons ...
Anonyme a dit…
Tellement vrai (e), tu as si bien résumé ma pensée de ce soir quand Elias (15 mois) a mangé ac nous ce soir, seul comme un grand, ses petits morceaux de tomate et concombre ... le temps file, carpe diem <3
H-L a dit…
❤️❤️❤️
H-L a dit…
❤️❤️❤️
Unknown a dit…
Magnifique... lorsque j'ai les yeux humides c'est exactement ça que je pense... merci d'avoir mis des mots dessus ;) c'est toujours très agréable de te lire.
julie a dit…
Trop beau et si bien dit ! Tout est tellement vrai ca passe trop vite le temps defile et on le voit à peine passé. Nos bb ....
Anonyme a dit…
Waouh tu m'as mis les larmes aux yeux avec ce beau texte.. Ethan va avoir un an mardi et je nai vraiment pas vu passer cette première année...