Au pays des rêves

J'ai débranché la veilleuse ananas de ma table de nuit et je l'ai posée sur ta commode. Défait les draps du berceau dans lequel tu te perdais, si petite, il y a déjà 4 mois. Maintenant ton front est tout en haut, et tes pieds, qui ont enfin assez poussé pour tenir des souliers, touchent le tissu du bas. J'ai commencé à le démonter et le coeur trop lourd je me suis arrêtée. A la place je l'ai lâchement poussé dans un coin, contre ce mur si froid. Comme un meuble devenu inutile. Qui se contente de prendre de la place avec insolence, dans cette chambre redevenue la mienne. Le vide-poche tétine qui trônait à côté du berceau a été transféré. Il n'y a plus aucun vestige de la présence d'un bébé dans cette grande chambre d'adulte. Plus de lange, plus de doudou, plus de veilleuse. Juste notre lit de parents, nos fringues qui traînent. Pardon, je vois d'ici le sourcil levé de mon mari en me lisant, ok, MES fringues qui trainent.
Mon bébé d'été est né quand il faisait 30 degrés et qu'on avait pas besoin de gigoteuse. Je lui ai fait une chambre de petite sirène, rose chamallow, or et mint. Cette chambre s'est transformée en buanderie parce qu'elle dormait avec nous. Parfois, on a essayé. De temps en temps, pour les siestes, et puis, une seule nuit, une seule fois. A l'aube de ses 4 mois, une nouvelle étape nous attend. J'ai rangé, épousseté, installé soigneusement sa gigoteuse dans ce vrai lit de bébé. Posé la veilleuse tortue dans le coin à droite, et viré le linge étendu depuis hier soir. C'était la dernière fois qu'il séchait là. Maintenant c'est ta chambre, promis, on lui trouvera un nouvel endroit.
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Les gens se demandent toujours pour vous. Allaitement, cododo, âge de l'introduction des fraises.
Pour le berceau, on me demandait pourquoi, on me demandait combien de temps. Nous on répondait, jusqu'à ce qu'elle dorme la nuit.
Aaron a intégré la sienne à 2 mois. Parce que les nuits étaient si courtes et les jours étaient si longs, parce qu'il ne tenait plus dans son couffin du haut de ses 64 cm, et parce qu'on avait tellement besoin de ne plus trembler à chaque gémissement. Aaron, mon homard, qui grandissait au sautillant au-dessus des courbes, qui ne dormait comme aucune statistique ne veut l'avouer, qu'il fallait bercer au clair de lune en comptant jusqu'à 1000 .
Avec elle, tout a été plus simple. Neva a dormi sa toute première nuit à la maternité pendant 6 heures d'affilée. Après il y a eu des nuits plus classiques, ces réveils quand la ville dort, ces biberons donnés dans la pénombre, avec juste le son de sa respiration apaisante, son petit corps chaud contre le mien, ceux de 5 heures du matin qu'on prenait dans le salon et qu'on finissait en s'endormant blotties l'une contre l'autre. Ma merveille. Une quarantaine de jours après sa naissance si chaotique, elle faisait ses nuits. 22h00-6h00, un vrai petit soldat en liberty. Je n'ai jamais pu honorer mon arrogante promesse. Impossible de dormir sans elle près de moi, même s'il n'y avait plus de biberon sous les étoiles, j'avais besoin de la sentir, la voir, l'entendre, la toucher, même dans le noir, du bout des doigts.

Dormir aux côtés de son bébé, c'est passer son temps à chuchoter dans sa chambre, même les fois où il n'est pas là. C'est connaître les parties silencieuses du sol, et hurler tout bas quand on se prend le coin d'un meuble. C'est dire adieu aux séries que l'on regardait en s'endormant en amoureux, et élire domicile dans le salon à la place, chassés par la petite boule d'amour qui ferme les yeux innocemment avec une couronne virtuelle qui tourne au-dessus de sa tête.

Elle se réveille souvent, au petit matin, trop tôt pour moi et trop tôt pour le ciel, je le vois bien parce que je laisse des fentes dans les volets pour deviner l'heure. Je lui donne sa tétine et elle repart, quelques minutes, jusqu'à la prochaine fois. J'ai déjà vécu ça, avec lui, les deux dents du bas, il avait 4 mois. Son berceau est collé à mon côté du lit, je tends le bras et béni les tétines mam qui brillent dans la nuit. Je vois la petite lune phosphorescente remuer au rythme de sa bouche, j'entends son soupir de fatigue, je la sens repartir dans ses rêves, et je ne me rendors pas toujours, parfois je reste là, comme ça, le bras tendu, à regarder son silence, écouter son sommeil, essayer de deviner ses rêves, et puis non, les lui laisser, ils sont à elle, ils sont ses plus jolis secrets. Le jour perce dans les volets, ma fille dort bien mais les réveils sont toujours durs. On est bien dans la bulle. Souvent Aaron est là aussi, vous savez, l'incruste après un pipi au milieu de la nuit. Je pourrais rester là, toute la vie, avec eux trois, une seule chambre, finalement, ça suffit. Le jour me brusque, chasse ces moments d'éternité, m'arrache à eux. Puis vient l'odeur rassurante du café. La vie peut commencer.

4 mois.
4 mois à dormir dans ce berceau magique, celui qu'on a découvert par hasard avec sa Nanou en faisant les magasins, le jour de ma baby-shower surprise, parce qu'il fallait gagner du temps, il fallait me faire traîner pour finir le glaçage du gâteau coquillage. Un berceau beaucoup trop beau, tout blanc, avec les côtés en mousseline qui semblent flotter dans le vent.

Parce que la crèche commence bientôt et que je veux qu'on fonctionne par étapes, parce qu'il devient trop petit aussi ce joli berceau que j'avais tellement aimé. Parce que si ce n'est pas les dents, un jour ce sera les cauchemars ou un rhume, les nuits ne sont jamais tout à fait complètes quand on a un enfant, la preuve avec Aaron, il aura bientôt 3 ans et il ne finit par toujours les nuits là où ils les a commencées.
4 mois. Je crois bien que l'heure est venue.
Parce qu'avoir une chambre de couple aussi, c'est important. Retrouver nos séries et s'endormir à deux même si on se réveille à quatre. C'est le moment de t'approprier cet univers que j'ai imaginé pendant des mois, mais que tu vas vraiment faire vivre, enfin. Rire entre ses murs roses que tu voudras peut-être un jour recouvrir de publicités de parfums et de chanteurs à mèche ridicule. Quand je t'attendais, je déambulais dans ces 10m2, j'arrangeais le moindre détail, la bougie vert lagon, l'échelle que j'ai guettée 6 mois sur le site de Maisons du Monde en pestant qu'elle ne reviendrait jamais en stock. Les pyjamas pliés et repliés dans ce tiroir aux poignées changées rien que pour toi, non je veux pas les vilaines grises, je veux les belles dorées pour ma princesse. Tout ça n'a pas de sens sans toi pour vivre dedans. Sans ton odeur dans les draps, sans ton sourire sous le mobile qui danse, sans tes yeux si bleus pour regarder par la fenêtre et t'imaginer le reste du monde. Créer un souvenir de doudou dans ce panier mignon, avoir un chagrin près du vase fleuri, se cacher derrière le petit fauteuil beige quand papa rentrera le soir, avoir ton coin préféré, celui où tu aimeras te réfugier. Et moi, m'y inviter. Passer du temps avec toi, jouer, venir te trouver le matin, quand ton sourire est un soleil et que mon coeur s'évanouit à chaque fois un peu plus tellement t'es belle, tellement c'est fou qu'un être humain nous aime fort comme ça, tellement c'est beau d'être parent rien que pour connaître cette sensation-là.

Venir te border le soir, et écouter, encore un peu, encore quelques secondes s'il te plaît, ce petit soupir d'apaisement que tu fais en laissant tomber ta tétine sur le côté.
Je te laisserai tous tes rêves, je ne trahirai aucun secret. Permets-moi juste, comme Aaron, de te regarder, une dernière fois tous les soirs, juste avant de me coucher. Et me noyer dans vos visages si purs quand vos yeux sont bien fermés.
Il n'y aura plus jamais le silence, ni le jour, ni la nuit, tant que vos respirations rythment ma vie.
Mes enfants. C'est con la maternité, c'est souvent quand vous dormez que j'oublie enfin les futilités.
Là j'écris et vous dormez, alors je vous le dis, mais ça vaudra aussi demain matin, et demain midi, je vous le promets. Vous êtes mon empire, mon temple sacré, ma raison chaque matin de me réveiller.


Douce nuit première nuit rose-chamallow, mon petit bébé.




© Ourson Chéri


Commentaires

Anonyme a dit…
Transpirant d'amour... Que D. Protège votre si belle famille.
Paola a dit…
Très bel article..j’ai eu les larmes aux yeux...il va aussi falloir se résoudre à passer Poupon dans sa chambre et son »grand » lit après bientôt 6 mois de cododo 🖤 j’attends juste qu’il lâche mon petit doigt qu’il préfère à la sucette, même la mam 😉
Karine a dit…
Ce soupir ... ❤

Elle en fera des rêves magnifiques dans sa chambre si merveilleuse ... Bonne nuit petite Neva !
Océane a dit…
Je me suis enfermée dans ma bulle pour te lire attentivement et j'en ai eu les larmes aux yeux. Je ne suis pas mère, je ne le serais pas encore maintenant mais lorsque je t'ai lu, j'ai ressentie beaucoup de ton amour maternelle, mon coeur bat la chamade tellement cet article dégage de l'amour ! Tu peux être fière de toi, de ce que tu fais pour tes enfants, ton mari. Bravo !
Julieetmo a dit…
Delphine,

Tes textes me touchent tellement... tu viens poser des mots sur ce que je ressens, qui m'envahit et dont je ne sais parler, qualifier... je suis fan, fan de ta douceur. Tu as cette particularité de toujours trouver le bon mot, la bonne métaphore, le bon lien pour m'amener dans ton univers. Tu me donne l'envie de faire un deuxième enfant (étant moi même déjà maman d'un petit prince). Tu me fais relativiser sur tellement de choses, me fait me sentir normale...

Bref je suis fan, continu de me toucher autant avec tes mots.

Julie
Anonyme a dit…
Superbe... j’ai lu ce texte avec mon amour de 3 mois endormie contre moi et les larmes qui roulaient silencieusement sur mes joues.