Sous la pluie, aussi

« Vous vous mariez aujourd’hui, on a de la chance il y a du soleil. Dans votre vie d’époux il y aura parfois de la pluie ou des grêlons. Si vous êtes là aujourd’hui c’est pour vous dire que vous les affronterez ensemble. Et alors moi, je voudrais ajouter quelque chose, tant pis si vous avez déjà dit oui, vous avez dit oui à ça aussi, c’est que vous vous aimez très fort et que ça dure toute votre vie. »

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Vas-y toi, je me suis déjà levé toute la nuit, j’en peux plus.
Risque d’averses.

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Chez nous le steak et les nuits sont hachées. On se lève à 6h00 et chaque sonnerie est un supplice auquel on met fin tous les 9 minutes, plusieurs fois d’affilée, jusqu’à ce qu’on atteigne une heure critique qui nous vaut un lever en trombe et quelques jurons bien inspirés. Il y a eu une époque où je partais au travail sans maquillage. Parfois j’en mettais dans le RER, vite fait. Maintenant cette époque est révolue parce j’ai besoin de 20 minutes pour mon ravalement quotidien. Mes yeux sont rouges, mes cernes violettes, c’est un arc en ciel palette Halloween sur ma tête. Il les habille, les fait manger, puis c’est son tour, il s’habille et oublie de manger. Il change Neva qui vient de régurgiter, et dépose cette mini ribambelle la où elle doit passer la journée avant d’attaquer la sienne.
Réveil à 6h, prise de poste 9h. Il y a le pro, les obligations, le 30ème café, la pause dej’, 16h30 c’est mon tour, le retour, ligne 4, Les Halles, RER, jamais du premier coup dans la bonne direction, crèche, les transmissions, école, téléphone, maison. Il est 18h15 quand je tourne la clé, et c’est le coup de feu, allez, on éteint la télé, bain, pyjama, tiens j’ai oublié de préparer une purée, on éteint la télé j’ai dis, c’est bientôt prêt, qui a mis TPMP, à taaable, mange je te dis, mange chéri, après c’est l’heure de se coucher.
C’est comme ça que ça se passe, sur le papier. En vrai j’ai fait 3 pauses de 10 minutes pour ouvrir un colis, répondre à un texto et m’affaler dans le canapé en affirmant que je n’arriverai plus jamais à me lever. Aaron se couche parfois à 21h sans que je ne comprenne pourquoi ou comment j’ai perdu autant de temps. Il m'arrive d'aller aux toilettes pour sauver quelques minutes de calme et parfois j’envoie bouler Aaron et sa 17ème question parce que je n’arrive plus à faire deux choses en même temps. Souvent je m’en veux de ne pas avoir assez joué avec eux, de ne pas avoir pris le temps de montrer son hochet préféré à Neva, ni construit le meilleur camion avec Aaron. Souvent je me suis attardée sur les miettes du plan de travail ou sur ma flemme internationale.
On travaille beaucoup. On fatigue encore plus. On se plaint de nos corps déformés par la bouffe réconfortante qu’on se fait tous les soirs pour oublier les heures de sommeil qui nous manquent. On se plaint du fric qu’on a jamais assez pour s’amuser, sortir, voyager. S'évader. Vraiment ? Elle est si compliquée, cette vie qu'on s'est fabriqué ? On n'était pas les plus heureux dans le meilleur des mondes ?
Ciel orageux.

Quand on sort de l’école et qu’il pleut, notre premier réflexe avec Aaron, c’est de chercher des flaques où sauter. On a aussi inventé l’histoire d’une sorcière qui déteste le soleil. Elle peut nous attraper seulement quand les gouttes tombent. Vite, elle arrive. Il faut qu'on sauve Neva de la crèche, cours, chevalier !
Et courir, courir en se marrant. Grâce à lui j’ai oublié que c’est de la pluie, et que je viens juste de me laver les cheveux. Ce n'est jamais juste de la pluie.
Alors je râle quand il se lève la nuit mais grâce à lui, quand il pleut, c'est d'la magie.
Je râle quand elle réclame la tétine 10 fois entre 23h00 et minuit, mais dès qu'elle me voit, elle sourit. Et forcément, en voyant ses billes bleues qui brillent de joie, je souris moi aussi.
Après des mois d’attente, la pression de l’Espagne et du reste du monde ainsi que le harcèlement de notre entourage, David et moi, on a enfin vu La Casa De Papel. On a réussi, on s'est remis dans une série. On l'a finie hier, en comptant les pauses pour aller voir Neva et ses quintes de toux, il nous aura fallu 2 heures entières. On les aime, nos séries. C'est notre moment à deux, nos délires, nos analyses, Monica Gastambide c'est Wolverine, nos théories, tu crois que Raquel a compris, c'est le chant Bella Ciao, quand David transforme partigiano en parmigiano et c'est quand on se trouve des surnoms de braqueurs, bonne nuit Madrid, je t'aime Vienne.
Possibles éclaircies.

Le plus dur c’est de faire le premier geste, celui qui bouleverse notre ego et chasse notre statut de calimero. Une caresse dans le dos quand l'autre a l’air contrarié, prendre le temps de voler un baiser, oublier son portable quelque part, dans le salon ou sur la table de nuit, je m’en fiche, c’est du sérieux les amis, j’essaie d’être épanouie! C’est magique, quand on commence ça se multiplie.
On n'oublie jamais l’histoire du soir et dans le chaos de ces soirées si longues, l'histoire est toujours spéciale. On s’écroule tous les trois à côté de son lit éclairé de sa guirlande préférée, on recolle les derniers éclats d’énergie qui nous restent. Et on lit. Pour de vrai. On joue, même, on fait les voix, tout ça. Juste pour l’étendre rire aux éclats avant de secouer les paillettes de sa veilleuse pyjamasque.
Un peu de silence. On oublie tout. On revit. Ses nuits blanches datent d’hier ou d’il y a 3 ans. On a rien vu passer entre-temps. Alors on sait, déjà, comme ce chaos est délicieux.Comme le temps passé avec eux est précieux.
Tu sais bien, on se reposera quand on sera vieux.
On est fatigués c’est vrai, on n'a plus le temps, de rien. Mais c’est pas de la pluie, c’est la sorcière qui nous poursuit, cours j'te dis. Mets le double d’anti-cernes et souris, fais de la salade avec tes pommes noisettes et dévore les, lis encore une histoire, une toute petite, juste une dernière, allez assume-le que tu mets TPMP et que ça te fait marrer, prépare un apéro, crevés pour crevés, couche-toi tard, faites le jeux des pubs, regarde y a celle que t’adore. On est devenus comme ça, une famille dont chacun des membres a sa pub préférée. On n'est pas les plus heureux dans le meilleur des mondes ?
Rien chez moi n'est parfait, ça ne changera pas. Mais j’ai une vie pour être heureuse.
Dans le meilleur des mondes, il paraît que le bonheur est un choix.

Parfois, Neva se réveille pour la tétine. Pardon, souvent Neva se réveille pour la tétine. Et quand Aaron se lève en pleine nuit, il appelle son père, toujours au ralenti : « pâ-paaaa ».
Quand il fait jour, tout semble moins grave. On dédramatise le matin, on le charrie et ça le fait sourire. Il le fait un peu exprès maintenant. Papaaa. Mamaaan. Réveillez-vous, il n'est jamais trop tôt dans le monde des enfants.
Vous savez quand les gens vous demandent "ça va?" et que vous répondrez machinalement "ça va et toi" au lieu de balancer tout ce que vous avez vraiment sur le coeur, au détriment total des règles de bon fonctionnement des relations sociales ? Et bien cette réponse, la vraie réponse, on la donne tous les soirs au diner. On fait un tour de table, « raconte moi ta journée ». On dit tout ce qu’on a fait, les bonnes choses et les moins bonnes, ce qui nous a fait plaisir, ce qui nous a embêté.
Hier soir Aaron nous a raconté. « Bon alors, moi je me suis réveillé. J’ai entendu Neva pleurer. Hé maman, un jour Neva m’appellera "Aarooooon" comme moi je fais ?"

Dans ces moments précis, David et moi échangeons un regard. Long. Sans ciller. Avec un sourire trop grand pour nos visages. Un regard épuisé qui pétille soudain de cette chance insolente. Être parents.
On est ensemble depuis 9 ans, il fut un temps où l'on faisait des marathons Seigneur des Anneaux le week-end sans jamais voir le jour ni s'habiller et aujourd'hui c'est à peine si on peut se reposer. Je ne changerai rien. Je referai tout, pareil, 100 fois encore, avec lui, pour cette complicité et ce regard-là.
Ciel dégagé. Beau soleil.

-Ce serait rigolo. Et tu irais la voir ?
-Oui je la mettrais dans mon lit avec moi, peut-être ! »

Peut-être mon amour. Dans le meilleur des mondes.

© Ourson Chéri




Commentaires

materw a dit…
Magnifique article comme toujours. Tellement vrai ce que tu décris. Ça me booste pour affronter la nuit avec ma puce de 15 jours et son grand frère de deux ans et demi qui se réveille encore et toujours. Mais comme tu le dis si bien, demain en voyant leurs sourires j'oublierai tout. Belle soirée et merci.
Maman BCBG a dit…
Très très joli texte.... "Après la pluie le beau temps" ;)