N'oublie pas de faire quelques bêtises

"A l'école, quand on m'a demandé d'écrire ce que je voulais être plus tard, j'ai répondu "heureux". Ils m'ont dit que je n'avais pas compris la question, je leur ai répondu qu'ils n'avaient pas compris la vie." John Lennon

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J’avais des Polly Pocket et des valises remplies de Barbies. Certaines avaient eu la tête arrachée et renfoncée. Après cet accident, elles avaient toujours un petit cou trop moche.
Je ne me souviens pas bien de ma première chambre, celle que je partageais avec ma sœur. Mais je me souviens de la deuxième. C’était toujours dans le 15ème et ce sera mon quartier préféré de Paris pour le reste de ma vie. Je me souviens très bien du lit superposé, quand celle du bas mettait les pieds entre les lattes pour soulever celle du haut.

Quand j’étais petite je me réveillais tôt le matin, 6h00 tapantes, les yeux ouverts, bonjour bonjour, alors qu’est-ce qu’on fait ? Ma soeur pouvait parfois dormir jusqu’à midi. Devoir l’attendre des heures était un supplice. On me demandait de commencer à jouer un peu dans ma chambre si je me levais trop tôt, un jour je voulais dessiner à la craie, alors pour ne pas faire de bruit j’ai rien trouvé de plus judicieux que d’écrire sur ma tapisserie rose à la place du tableau noir.

En revenant de l’école, parfois, je prenais la plus grosse pièce, 5 francs les gars, et j'avais le gros sachet de bonbons, énorme, vous n'avez pas idée, genre bombé de tous les côtés, la boulangère n’avait même pas réussi à le faire virevolter dans les airs pour en plier les côtés. J’en mangeais quelques uns, sur le chemin. J’adorais les langues qui piquent et les réglisses. Je rentrais avec mon sachet de bonbons, je le cachais dans une boîte à bijoux qui renfermait une petite princesse qui tourne quand on l'ouvre, et une fois la nuit tombée, j'ouvrais la boîte et je mangeais tous mes réglisses, couchée dans mon lit.
J’aimais les dauphins, les pierres qui changent de couleur soit-disant en fonction de mon humeur,  la viande mais pas le gras, les pâtes avec beaucoup trop de sauce. Je n’aimais pas manger le matin et je ne comprenais pas pourquoi ça semblait si embêtant, parfois je me forçais un peu, vous savez, pour faire plaisir. À la cantine je trouvais tout dégoûtant alors que je ne prenais que le pain et les crudités, s’ils avaient su, ils auraient été affolés, mais moi je ne voyais pas le mal, ça ne m’empêchait pas d’être en bonne santé.

Je me souviens de l’odeur des tapis Lafuma, de ces cours de sport durant lesquels je me sentais toujours nulle. Sauf la danse classique, c'était bien la danse classique, pointe, flex, en plus le distributeur faisait le meilleur thé au citron. Je me souviens de cette petite bague à mon annulaire et des copines qui me faisaient remarquer la manie que j'avais de la faire tourner avec mon pouce.
J’adorais écrire au tableau, le vendredi après-midi, et les dictées. Jouer à la marchande et sentir un par un les flacons de gel douche Yves Rocher. Chèvrefeuille, c’était mon préféré. Je jouais tellement, des heures et des heures, les épaules et le dos douloureusement engourdis à force d’être restée voûtée pendant si longtemps.
Je me rappelle des vagues et de l’eau trop froide de la Manche. La peinture écaillée du pédalo, les gouttes qui nous attaquent, et le rire de papa. L’allure de maman avec ses lunettes de soleil, ses cheveux blonds et sa peau juste dorée par le soleil breton. Le parfum des gaufres au sucre glace que l'on dévorait, avec du sable qui crisse plein nos doigts. Les draps tous fins qui nous brûlaient la peau le soir en se couchant quand on avait un coup de soleil. Et la route qui nous emmenaient chez elles. Nos cousines. Le quatuor, de 1986 à 1989, une fille par année. Les Spice Girls. Moi j’étais Victoria, Mélanie c’était notre chef, l'ainée, elle avait donc le privilège d’être Geri, Eva c’était la fofolle, Mel B, et Claire faisait Emma et Mel C, parce que c’était la petite dernière mais qu’elle aimait le sport aussi. On se disputait beaucoup, on s’adorait encore plus, on faisait semblant de dormir, souvent, on ne se voyait qu’en vacances, mais avec tous les souvenirs que j’ai, faut croire que c’était suffisant.
On crânait beaucoup avec nos petits carnets et nos jolis crayons, on en avait des collections. Le vendredi soir on partait en week-end, dans la maison de famille en Touraine qui ressemblait plus à un château qu’à une bicoque de campagne, avec ses dix chambres et ses deux ailes. Il y avait un verger, un potager, des tableaux et de la toile de Jouy partout, des pots de chambre pour ne pas se perdre si on avait une envie pressante dans la nuit. Je lisais pendant des heures, très tard. Jamais personne ne l’a su, et le lendemain promis, juré, je n’étais même pas si fatiguée. C'était ça, la liberté.
La journée on piquait les cannes de notre arrière-grand-père dans le porte-parapluie pour jouer, on faisait attention, surtout celle avec la boule, elle a l'air fragile, mais c'est la meilleure, elle ressemble à celle de Maléfique dans La Belle au Bois Dormant. Qu'est ce qu'on se marrait. On imitait Stéphane Bern dans Sagas en marchant dans les couloirs interminables dans la maison tout en inventant des textes fantasques sans queue ni tête au caméraman imaginaire. Nos parents étaient jeunes, parfois le matin on restait alignés dans le lit tous les 4 et on jouait à Tétris chacun sur notre Game Boy. La mienne était vert émeraude, je mettais la musique B, toujours, et le mode inversé. J’adorais fabriquer des blocs entiers et attendre la géante barre pour la mettre au dernier moment et avoir plusieurs lignes d’un coup.

On regardait Fort Boyard et Intervilles. On se moquait des gens qu’on n'aimait pas, c’était l’été, la vie était belle, et on criait quand des chauves souris rentraient dans la maison la nuit à cause des fenêtres grandes ouvertes.
Les filles belles avaient des ras-de-cou, les cheveux de Sarah Michelle Gellar, la taille fine et des cropped tops.


Je n’ai rien oublié, jamais. Pêcher sur le ponton d'un hôtel plein d'étoiles, apprendre à aimer les plages de galets, ne jamais oublier le joli village d'Yvoire, regarder fascinée le jet d'eau de Genève. Je n'ai pas une madeleine de Proust, non, moi j'ai une pâtisserie toute entière. Je me souviens de chaque odeur et pas une journée ne se passe sans que je me remémore un souvenir de mon enfance. Comme si c’était hier.



Est-ce que ce sera pareil pour Aaron et Neva ? Comment se fait-il que quelques années de vie marquent tout le restant de notre existence ? Pourquoi j'aimerais toujours autant Dinard, le lac Léman et Fort Boyard ? Le pays imaginaire m'a oubliée. Je suis devenue grande, je me suis fais piéger. On a fait le tour du cadran, aujourd'hui les filles belles ont à nouveau des ras-de-cou, des cropped tops et la taille fine. J'ai vieilli, et une partie de moi aussi. J'accomplis mes taches en soupirant, je dis toujours que je manque de temps, je râle quand il pleut, je râle quand le ciel est bleu, et j'oublie de vivre comme vivent si bien les enfants. Un mélange subtil de la simplicité la plus totale et de l'intensité la plus folle. Ils ont la clé, le secret,  un filtre magique, du genre qu'on ne trouvera jamais sur snapchat. Le verre n'est jamais vide, au pire, quand on a tout bu, on s'amuse à le faire rouler et lui courir après.



A quel moment on arrête de voir des copains pour jouer ? Qu’est ce qu’ils font les grands dans leur chambre ? Pourquoi ils sont tout le temps fatigués ? Pourquoi ils mangent autant et pourquoi ils sont au régime ? A quel moment on arrête de danser et de se prendre en photo en soirée ? Qu’est ce qu’ils font les adultes le samedi soir ?


Tu sais mon enfant, maintenant quand je me lève à 6h00 c'est parce que mon téléphone me le hurle avec un son strident. Maintenant dans ma boite aux lettres, il n'y a plus les courriers de ma cousine, il y a des enveloppes blanches sans paillettes, sans parfum, sans autocollants en forme de coeur. Elles sont moins jolies et parfois elles nous volent notre bonne humeur. Maintenant, les gaufres au sucre me font grossir et les Spice Girls se sont séparées. C'est peut-être ça, être un adulte ? Bouder dans le vide.
Et puis parfois mon enfant, tu reviens. J'oublie tout et je fais des bulles avec toi. J'oublie tout et je joue. À m'en brûler le dos. Tu m'éclabousses d’insouciance et la vie reprend. Plus belle, plus folle, plus drôle. Je vais toujours sentir les gels douches de chez Yves Rocher, grenades baies roses est mon nouveau préféré. Je laisse toujours ma peau bronzer et les taches de rousseur apparaître sur mon nez pour sentir la chaleur de ma peau sur les draps frais. J'apprends à te laisser le matin, si tu n'as pas faim. Je craque sur un bonbon avant le dîner et parfois même au lit, avant de me coucher.
On est là pour vous enseigner mais c’est de vous qu’on apprend, les enfants.  
Vous savez si bien vivre. Vous êtes nos meilleurs parents.

Pardon pour toutes les fois où j'oublie de rire avec toi, de compter les cailloux et de chasser les pigeons. Pardon pour le putain de plateau à cause de l'obsession des miettes. Pardon pour tous ces soirs où je ne vous emmène pas au square, parce que j'ai le bain à vous donner d'abord, et puis y a le dîner à préparer après. Pardon pour mon sérieux, pour les règles que tu as raison de briser parfois, pour la vie réglée au millimètre que j'ai pris pour une mission à réussir tant de fois.

J'aime toujours les langues qui piquent, tu sais, et j'ai toujours peur des chauve-souris. 
Je te promets de te montrer tous les jours que maman aussi, sait aimer la vraie vie.









Commentaires

Chloé L. a dit…
Comme d'habitude tes écris me font remonter tout un tas d'émotions ! C'est tellement vrai, dans ce monde il n'y a que les enfants qui savent réellement profiter de la vie... quand on est adulte on se laisse submerger par les choses "importantes" et on en oublie de jouer et on oublie de profiter de ce qui est vraiment important... très jolie photo en plus de ton texte :)
Anonyme a dit…
Mais quel texte magnifique et plein de vérité.
Merci à toi pour tes mots.